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GESAD 62
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29 mars 2006

Mineurs étrangers et juge des enfants

22 mars 2006

Le grand-écart d'un juge sur les enfants étrangers

Avocats006_11 Ion a 15 ans. Il est roumain. Il est triste, d'un triste roumain.  Il est en France depuis l'été 2005. Il s'est réfugié dans un foyer qui accueille des enfants roumains. A l'époque j'ai accepté de lui faire quitter la rue et de le faire accueillir dans cet établissement. Je le reçois aujourd'hui avec l'éducatrice du foyer et la représentante de l'ASE pour statuer sur son sort. On me dit qu'il comprend le français et le parle maintenant suffisamment.

J'engage le débat. Une nouvelle fois je vais nager dans les contradictions les plus absolues. On n'expulse pas les enfants qui on mis un orteil sur le territoire  français - heureusement ! -, mais dans le même temps on ne leur donne pas les papiers nécessaires après les avoir fait suivre une formation. La circulaire Villepin du 5 mai 2006 est guère appliquée ! La justice et l'aide sociale à l'enfance sont instrumentalisées par des parents qui les utilisent pour prendre en charge leur enfant. Parfois, c'est le devenir d'une famille qui en dépend, sinon d'un village!

- Je vois que ta mère est décédée. Et ton père?

- il vit à Satu-Mare. Il a 65 ans

- Pourquoi es-tu venu en France ?

- Pour étudier, je veux aller à l'école!

- Pourquoi pas en Roumanie?

La réponse ne manque pas, que je connais déjà pour l'avoir entendu mille fois!

- On est pauvre; mon père est agriculteur - il écorche le mot et l'éducatrice lui vient en aide - je peux pas faire des études là-bas!

- Ton père sait où tu es ?

- Oui, je l'appelle régulièrement

- Je comprends, mais moi je suis juge des enfants et mon travail avec l'aide sociale à l'enfance consiste à protéger les enfants maltraités, battus, abandonnés. Tu n'es ni l'un ni l'autre! Heureusement! Normalement, je dois veiller à ce que tu repartes auprès de ton père à Satu-Mare!

Ion encaisse.

- Tu as de la famille en France ?

- Oui, mon grand frère est là.

L'éducatrice me tend une lettre. Elle émane du frère de Ion qui me démande à le recevoir régulièrement chez lui.

L'éducatrice :

- Il est arrivé en octobre avec sa femme et ses deux enfants.

J'interroge :

- En situation régulière ?

- Non. Ils ont un petit appartement et ne peuvent pas prendre Ion à plein temps

Au fur et à mesure de l'audience, je vois Ion se renfoncer dans mon grand fauteuil de cuir noir. D'autant qu'il n'est pas malingre, mais ce n'est pas un grand costaud. Il est triste comme beaucoup de roumains, jeunes et moins jeunes, mais en plus je suis frappé par le pull-over terne qu'il porte et qui me semble élimé. Bref, j'ai vraiment un petit roumain en face de moi. Précision : Ion n'est pas rom, mais roumain.  En tous cas, il est paumé ; d'autant qu'il y a quand même l'obstacle de  la langue qu'il ne maîtrise pas totalement.

Combien en ai-je vu en 5-6 ans de ces enfants roumains, africains, maghrébins ou chinois, généralement envoyés par leurs parents ou leur communauté en France pour réussir, gagner leur vie et ainsi parfois aider en retour la famille ou le village. De 1500 à 2000!

Je m'entends dire à Ion :

- Tu sais en France il y a beaucoup d'enfants pauvres qui ne vont pas à l'école et même qui n'ont pas de toit. Dans la cité que tu vois par la fenétre, il y en a plein. Alors pourquoi devrions nous t'aider ? Et eux qui sont nés ici ?

Là encore question idiote qui n'appelle pas de réponse et qui n'en reçoit donc pas!

- Qu'en pense l'ASE ?

- Nous proposons le maintien. D'ailleurs l'inspectrice a demandé et reçu du père une autorisation pour une délégation d'autorité parentale à l'ASE.

Au fin fond des contradictions, je finis donc par céder. Comme d'habitude !

- Je vais te maintenir à l'Aide sociale à l'enfance et, bien sur, tu iras chez ton frère le week-end

Le gamin ne réagit pas plus que cela!

L'éducatrice du foyer intervient doucement :

- Pourquoi pas directement au foyer ?

- Pour qu'il puisse éventuellement bénéficier de la loi qui permet la declaration de nationalité au jeune confié à l'aide sociale à l'enfance mais pas à un foyer!

Je me retourne vers Ion.

- Tu as des questions à me poser ?

- Je pourrais aller en week-end chez mon frère?

- Oui je viens de te le dire !

- Et cet eteu ( Cet été reprend l'éducatrice! ) je pourrai aller en Roumanie?

- Voir ton père?

- Oui !

Je m'effondre. Comme prévu ce gosse n'a rien compris à mes explications. Et comment aurait-il pu ?

- Cela me parait impossible de te payer un voyage aller-retour vers Satu-Mare  via Bucarest aux frais de la République - en fait aux frais du Conseil général. Si tu dois revenir en Roumanie tu y restes! Sinon tu ne peux pas partir !

Ion accuse le coup !

J'ajoute

- Je comprends combien c'est dur : finalement dans ces règles mises en place par les adultes, tu es la victime. On te prive de ton père au nom de tes études ! T'interdire de partir en vacances en Roumanie, c'est une punition. Tu as le droit de voir ton père! Mais d'un autre coté, la Roumanie n'est pas une province de France, mais si ton père habitait Marseille je te ferais repartir à Marseille!

Et d'ajouter

- SI tu y vas par tes propres moyens, ne te fais pas prendre !

Je peux enfin lui glisser :

- Tu sais je connais Satu-Mare, mon père y est né et son père aussi ! Il est venu en France parce qu'il y avait des persécutions. Aujourd'hui, il faut que des jeunes comme toi - et j'en connais là-bas - restent en Roumanie et exploitent ses richesses, le pétrole, la terre qui est riche! Il faut croire dans votre pays!

Tout en ajoutant:

- Je comprends que pour toi tout cela soit inaudible!

Des Ions il y a en a des tas et des tas. Il va de soi qu'en traitant leur cas je pense à mon père venu aussi de Satu-Mare, il y a 90 ans, avec son père pour fuir les pogroms. Je suis aujourd'hui un magistrat de la République française. Pour la plupart, ces gosses qui arrivent aujourd'hui vers l'éldorado français seront demain de bons petits français! Mais la charge de les acceuilir et de les prendre en charge relève-t-elle de la justice ?  On est dans le registre de la coopération , et pas de la justice! Bien sûr, si on ne les aidait pas, ces enfants seraient en danger de délinquance ou de prostitution! Certains tribunaux et certains services de l'aide sociale à l'enfance refusent d'intervenir.

Une heure avant Ion j'avais devant moi deux adolescentes, 16 ans et demi et bientôt 18 ans  - des cousines à les en croire - venues du Congo  à la demande de leur mère et tante. Depuis celle-ci aurait disparu. On ne parle pas de leur père respectif. Un frère de 20 ans serait aussi en France. D'évidence, elles ne disent pas tout et nepeuventpas parler. L'ainée est en larmes, discrétement! On la sent bloquée. Là encore, il n'y pas d'autre solution que de maintenir ces jeunes filles confiées à l'aide sociale à l'enfance. En espérant que cet entretien où j'ai beaucoup insisté sur le fait qu'elles avaient peu de chances d'être regularisées, et que dès lors le risque était énorme de les voir plonger à leur majorité dans la clandestinité et même dans la prostitution, aura contribué à les amener à nous dire la vérité dans une histoire aujourd'hui "percée". Peut-être cette vérité contiendra-t-elle de quoi gagner leur régularisation.

Faustine à qui je disais :

- Je crois que tu ne nous dis pas tout! Vrai ou faux ?

me repondit

- Vrai!

Mais peut être que cette histoire est lourde à parler. Trop sans doute! Il faudra encore attendre avant qu'elle ne la parle.

En tous cas, si les services sociaux (les conseils généraux ) interviennent mandatés par les juges (l'Etat),  ils doivent être relayés par l'Etat, mais pas lâchés en rase campagne. Aujourd'hui, un effet de ciseau extraordinaire se developpe avec des préfectures pusillanimes dans l'octroi de titres de séjour provisoires et les conseils généraux et l'Etat qui bloquent sur les mesures d'aide aux jeunes majeurs. On produit des illégaux!

On paie ces enfants en monnaie de singe; on se donne bonne conscience en ne les expulsant pas masi on ne leur fournit pas un titre pour achever leurs études! On finira par demander que les enfants soient expulsables; dejà, ils sont souvent refoulés à l'arrivée à l'avion : sévère, mais finalement carré! 

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